
Elle revient également sur une question prioritaire de constitutionnalité tranchée par le Conseil constitutionnel en matière de protection fonctionnelle accordée à l’exécutif de la région.
Elle commente de manière synthétique ces arrêts qui ont justifié une publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, ou présentent, dans tous les cas, un intérêt juridique et pratique.
Droit Civil
Prescription acquisitive – conditions – possession – acte matériel – constatations nécessaires
Civ.3ème, 12 septembre 2024, n°23-11.543, publié au Bulletin
Par cet arrêt, la troisième Chambre civile s’est prononcée sur les contours de l’appréciation du trouble manifestement illicite lorsque le demandeur en référé se prévaut de la prescription acquisitive pour fonder une demande d’expulsion d’un terrain dont il s’estime propriétaire.
Elle a ainsi rappelé que l’existence d’un acte notarié constatant une usucapion est insuffisante pour établir celle-ci et qu’il appartient à la personne qui revendique un droit de propriété d’en rapporter la preuve en établissant des actes matériels de possession (Civ.3, 11 juin 1992, n°90-16439, B).
Dès lors, décide-t-elle, la seule production d’un acte notarié constatant une usucapion est insuffisante pour que le juge des référés retienne l’existence d’un trouble manifestement illicite et décide, en conséquence, de mesures conservatoires ou de remise en état destinées à mettre fin à la violation alléguée du droit de propriété.
Bail rural – mise à disposition du bail au profit d’une société dont tous les copreneurs ne sont pas associés
Civ 3ème, 26 septembre 2024, n°23-13.893, publié au Bulletin
Dans un arrêt de rejet publié au Bulletin, la Cour de cassation a jugé que le preneur ou, en cas de cotitularité, l’un ou les copreneurs, qui mettent les biens loués à la disposition d’une société dont ils ne sont pas associés mais qui continuent à se consacrer à l’exploitation de ceux-ci, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, n’abandonnent pas la jouissance du bien loué à cette société et ne procèdent donc pas à une cession prohibée du bail.
Elle juge, par conséquent, qu’un bailleur ne peut invoquer uniquement ces faits pour demander la résiliation du bail et doit démontrer que ledit manquement est de nature à lui porter préjudice.
Cette solution est favorable au preneur qui, par le passé, pouvait craindre, dans des circonstances similaires, qu’une telle mise à disposition soit jugée irrégulière et s’analyse en une cession prohibée (v, sur ce point, Civ 3ème, 22 février 2005, n°03-20.631).
Société civile immobilière – distribution de dividendes portant sur le produit de la vente d’actifs d’une société – droit du nu-propriétaire et de l’usufruitier
Civ 3ème, 19 septembre 2024, n°22-18.687 ; 22-18.733, publié au Bulletin
Dans cet arrêt publié au Bulletin, la Cour de cassation se prononce, pour la première fois, sur les droits respectifs d’un usufruitier et d’un nu-propriétaire s’agissant d’une distribution de dividendes portant sur le produit de la vente d’actifs d’une société.
Elle juge d’abord qu’au regard de la nature même des biens distribués, le dividende revient, sauf convention contraire entre le nu-propriétaire et l’usufruitier, au premier.
Elle souligne néanmoins que l’usufruitier dispose alors d’un droit de jouissance sur la somme distribuée s’exerçant alors sous la forme d’un quasi-usufruit.
En conséquence, précise la troisième Chambre civile, la décision, à laquelle a pris part l’usufruitier, de distribuer les dividendes prélevés sur le produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une société civile immobilière, sur lesquels il jouit d’un quasi-usufruit, ne peut être constitutive d’un abus d’usufruit.
Cet arrêt permet désormais à tous les professionnels d’éclairer au mieux leurs clients sur les règles régissant la distribution de dividendes portant sur le produit de la vente d’un actif de la société en cas de démembrement de propriété des droits sociaux.
Cautionnement – recours personnel de la caution contre le débiteur principal – moyens de défense invocables par le débiteur principal
Civ 1ère, 18 septembre 2024, n°22-22.747
Dans cet arrêt, la Cour de cassation assouplit les moyens de défense qui peuvent être formulés par un débiteur principal à l’encontre d’une caution exerçant son recours personnel à l’encontre du premier.
Elle reconnait que le moyen tiré de l’absence d’indication du taux de période sur l’offre de prêt puisse être opposé à la caution sur le fondement de l’article 2308 du code civil dont il résulte que « lorsque la caution a payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal, elle n’a point de recours contre lui dans le cas où, au moment du paiement, ce débiteur aurait eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte, sauf son action en répétition contre le créancier ».
Elle a, en conséquence, cassé l’arrêt qui prétendait que la nature personnelle du recours de la caution ne permettait pas à la débitrice de lui opposer ce manquement et qui n’avait pas recherché si l’emprunteuse avait bénéficié d’un délai suffisant entre la première présentation de la lettre de la caution et le paiement réalisé par cette dernière pour l’informer des moyens dont elle disposait pour faire échec à la demande de la banque.
La Cour de cassation reconnait explicitement que la faute tirée de l’absence d’indication du taux de période sur l’offre de prêt peut être invoquée par un emprunteur pour faire échec à la demande en paiement de la caution, sur le fondement de l’article 2308 du code civil.
Ces dernières années, la Cour de cassation interprétait très restrictivement la notion de « moyens pour faire déclarer la dette éteinte » (v, par exemple, Civ 1ère, 24 mars 2021, n°19-24.484, B ; Com, 5 mai 2021, n°19-21.396 ; Civ 1ère, 23 novembre 2022, n°21-16.904).
Par cet arrêt, la Haute juridiction semble apprécier, de nouveau, avec souplesse ce critère.
Procédure Civile
Référé – mesures conservatoires ou de remise en état – trouble manifestement illicite – caractérisation – exclusion – cas – Polynésie française
Civ.3, 12 septembre 2024, n°23-11.543, publié au Bulletin (précité)
Selon la jurisprudence, le caractère manifestement illicite du trouble n’est pas établi lorsqu’un doute sérieux existe quant au droit revendiqué par le demandeur.
Ainsi, le trouble manifestement illicite ne peut être caractérisé lorsque le droit dont la violation est alléguée « n’apparait pas avec l’évidence requise devant le juge des référés » (Civ.2, 18 janvier 2018, n°17-10636).
Rappelant que l’existence d’un acte notarié constatant une usucapion est insuffisante pour établir celle-ci et qu’il appartient à la personne qui revendique un droit de propriété d’en rapporter la preuve en établissant des actes matériels de possession (cf vu plus haut), la troisième Chambre civile en déduit que la seule production d’un acte notarié constatant une usucapion est insuffisante pour que le juge des référés retienne l’existence d’un trouble manifestement illicite et décide, en conséquence, de mesures conservatoires ou de remise en état destinées à mettre fin à la violation alléguée du droit de propriété.
Le juge des référés ne peut se contenter de la seule force probante attachée à l’acte authentique pour retenir la propriété par usucapion.
Droit du Travail
Contrat de travail – exécution – coemploi- condition
Soc. 9 octobre 2024, n° 23-10488 et s., publié au bulletin
Par cet arrêt publié au bulletin, la Chambre sociale est venue une nouvelle fois confirmer une conception stricte du coemploi en jugeant que hors l’existence d’un lien de subordination, une société ne peut être qualifiée de coemployeur, à l’égard du personnel employé par une autre société, que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre elles et l’état de domination économique que peut engendrer leur relation commerciale, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.
La Cour de cassation juge, en effet, désormais de façon constante que, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur, à l’égard du personnel employé par une autre, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière (Soc., 2 juillet 2014, n° 13-15.209 et s., Bull. 2014, V, n° 159, Molex ; Soc., 6 juillet 2016, n° 14-27.266 et s., Bull. 2016, V, n° 146, Continental ; Soc., 6 juillet 2016, n° 14-26.541, Bull. 2016, V, n° 145, Proma ; Soc., 6 juillet 2016, n° 15-15.481 à 15-15.545, Bull. 2016, V, n° 147, 3 Suisses).
Ainsi, a-t-elle encore précisé, en application de l’article L. 1221-1 du code du travail, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière (Soc., 25 novembre 2020 (n°18-13769, 18-13770, 18-13771, 18-13772, B).
La situation de coemploi n’est dès lors pas caractérisée en l’absence d’immixtion permanente d’une société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie et d’action de cette dernière (voir encore, Soc, 12 avril 2023, n°21-16904).
L’arrêt du 9 octobre 2024, qui vient confirmer cette conception stricte du coemploi, n’était pas rendu dans le cadre d’un groupe de sociétés.
Droit Constitutionnel
Protection fonctionnelle des exécutifs locaux – Article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales
CC, 11 octobre 2024, D. c/ Région Ile-de-France, n° 2024-1107 QPC
Un conseiller régional d’Ile-de-France a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre de poursuites pénales dont il a fait l’objet, ce qui lui a été refusé par la Région Ile-de-France.
Dans ce cadre, le conseiller a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité concernant l’article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales, en tant qu’il réserve, en cas de poursuites pénales, le bénéfice de la protection fonctionnelle « au président du conseil régional, au conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions ».
Etait principalement visée une violation du principe d’égalité devant la loi, le conseiller régional, poursuivi pour un délit de presse, estimant qu’aucune différence de situation ne justifiait une différence de traitement entre un simple élu local et l’exécutif de la collectivité.
Le Conseil constitutionnel, reconnaissant que la protection accordée par le texte n’est pas une protection politique à raison du statut d’élu mais une protection fonctionnelle à raison des missions spécifiques exercées par l’exécutif de la collectivité qui l’exposent plus aux poursuites pénales qu’un simple élu, a confirmé l’existence d’une différence de situation justifiant la différence de traitement.
S’il reste loisible au législateur d’étendre cette protection à l’ensemble des élus locaux, le texte demeure, en l’état, conforme à la Constitution.
Droit Public
Revenu de solidarité active – Compétence de l’agent chargé du contrôle – Office du juge
CE, 25 juillet 2024, Département de la Haute-Vienne, req. n° 475.613
Dans le cadre d’un litige relatif à un indu de revenu de solidarité active, le requérant peut utilement faire valoir un moyen tiré de l’incompétence de l’agent chargé du contrôle, lequel doit avoir fait l’objet d’un agrément et d’une assermentation préalables.
Le Conseil d’Etat avait déjà considéré que lorsque l’allocataire soulève un moyen dit « à l’aveugle » tiré de ce que l’agent n’aurait pas été compétent, le juge ne peut écarter ce moyen comme n’étant pas assorti de précision suffisante pour en apprécier le bien-fondé ou comme non fondé au regard des seules indications figurant sur le procès-verbal.
Il avait estimé que l’administration étant seule en mesure d’établir l’agrément et l’assermentation des agents qu’elle désigne pour effectuer les contrôles, il appartient au juge, si cette qualité ne ressort pas des éléments produits en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur (CE, 17 novembre 2017, req. n° 400.976, aux tables).
L’arrêt récemment obtenu par le cabinet confirme que la règle vaut dans les deux sens.
Ainsi, saisi d’un moyen tiré de l’incompétence de l’agent chargé du contrôle, le juge ne peut pas non plus accueillir ce moyen au motif que l’administration n’apporterait pas d’éléments de réponse en défense.
Il lui appartient, ici aussi, de mettre en œuvre ses pouvoirs d’instruction pour permettre à l’administration de compléter ses productions, avant de se forger une conviction.
Droit Pénal
Jugements – débats – principe de publicité – demande dispense de paiement d’une astreinte- absence de dérogation
Crim, 1er octobre 2024, n°23-81.681
Dans cet arrêt rendu au visa des articles 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme et L 480-7 du code de l’urbanisme, la Chambre criminelle a souligné qu’aucune disposition du code de l’urbanisme ne déroge à la règle de publicité des débats lorsque la juridiction correctionnelle est saisie de toute demande relative à une astreinte prononcée en application de l’article L 480-7 du code de l’urbanisme.
Dès lors, elle a censuré l’arrêt d’une cour d’appel qui, statuant sur une requête en incident contentieux relatif à l’exécution d’une astreinte prononcée en matière d’urbanisme, avait appelé l’affaire à une audience en chambre du conseil 2023 et avait rendu sa décision en cette chambre.