Newsletter trimestrielle n°29

Cette deuxième newsletter de l’année revient sur les arrêts importants obtenus par le cabinet depuis la mi-janvier.

Le premier trimestre 2025 a été particulièrement riche.

Le cabinet a obtenu des arrêts de principe dans des matières variées (droit du cautionnement, droit des sociétés, droit du travail, procédure civile…).

Cette newsletter met, plus particulièrement, en lumière certains de ces arrêts dont la plupart sont publiés au bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation ou au Recueil Lebon.

Bonne Lecture !

Droit Civil

Nationalité- possession d’état de Français– déclaration de nationalité – délai raisonnable

1ère Civ., 2 avril 2025, n°23-13.440

Il résulte de l’article 21-13 du code civil que peut réclamer la nationalité française par déclaration la personne qui a joui, d’une façon constante, de la possession d’état de Français pendant les dix années précédant sa déclaration, à condition d’agir dans un délai raisonnable à compter de la connaissance de son extranéité.

Si l’appréciation du caractère raisonnable du délai dans lequel l’étranger formule sa déclaration relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, la Cour de cassation, dans cette affaire, considère cependant, comme le cabinet l’y invitait, que les juges du fond doivent prendre en considération, en faveur de l’étranger, le temps écoulé entre la date de dépôt de son dossier et l’obtention du rendez-vous pour enregistrer la déclaration de nationalité, le temps écoulé ne pouvant être imputé à une négligence de l’intéressé.

La Cour de cassation a ainsi censuré pour défaut de base légale au regard de l’article 21-13 du code civil la cour d’appel qui n’a pas tenu compte de cette circonstance pourtant alléguée par l’étranger.

Atteinte à la jouissance d’un bien subi par son propriétaire – trouble manifestement illicite en résultant

Civ 3ème, 27 février 2025, n°23-22.284

Dans cet arrêt, la Cour de cassation juge que la chute de pierres, provenant de l’éboulis d’un mur privatif situé sur un fonds contigu, en ce qu’elle porte atteinte au droit de propriété, constitue un trouble manifestement illicite pour le propriétaire du fonds la subissant.

Elle censure, par conséquent, la cour d’appel, statuant en référé, qui, après avoir relevé que la présence de pierres issues du mur appartenant à un tiers générait un trouble au propriétaire du terrain voisin, avait retenu qu’il n’était pas démontré que ce dernier était manifestement illicite.

Il s’agit d’un des premiers arrêts dans lesquelles la Cour de cassation juge explicitement que l’atteinte au droit de propriété est constitutive d’un trouble manifestement illicite au sens de l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, justifiant le recours à des mesures conservatoires ou de remise en état pour le faire cesser.

Notion de consommateur – contrat ayant un rapport direct avec l’activité professionnelle de l’intéressé

Civ 3ème, 3 avril 2025, n°23-16.776

Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que le juge, amené à apprécier la notion de consommateur d’un contractant, au sens de l’article préliminaire du code de la consommation dans sa version antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016, n’a pas à tenir compte des compétences de l’intéressé.

Elle souligne que doit être considérée comme consommateur, au sens de ce texte, toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.

Elle censure, par conséquent, les juges du fond qui, après avoir constaté que l’une des parties à un contrat de maitrise d’œuvre immobilière avait agi à des fins professionnelles, avaient retenu que cette dernière avait la qualité de consommateur au motif inopérant qu’elle n’était pas un professionnel de la construction immobilière.

Cette jurisprudence, faisant suite à un précédent arrêt ayant statué de manière analogue (Civ 3ème, 25 mai 2023, n°21-20.643, B), met définitivement fin à une jurisprudence isolée de la troisième chambre civile, tenant compte des compétences du contractant pour apprécier la notion de consommateur d’un contractant.

Cautionnement – Conditions de validité – Acte de cautionnement – Mention manuscrite prescrite par l’article L. 341-2 du code de la consommation – Domaine d’application – Créancier professionnel – Définition

Com., 12 février 2025, n°23-14487, publié au bulletin

La Cour de cassation rappelle, dans cet arrêt qu’au sens de l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, le créancier professionnel s’entend de celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si elle est exercée sans but lucratif.

Ce dernier ne peut, en application de ce texte, se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Le pourvoi faisait valoir que la garantie offerte par l’association professionnelle de solidarité du tourisme (l’APST), constituée conformément à la loi du 1er juillet 1901 et ayant pour objet statutaire de gérer le fonds de garantie professionnel destiné à fournir aux membres adhérents la garantie financière prévue par le titre 1 du livre II du code de tourisme, nécessaire à l’obtention de la licence d’agent de voyages, à ses membres, ne caractérisait pas une activité professionnelle.

La Cour de cassation approuve le raisonnement des juges du fond et rejette le pourvoi.

Ainsi, précise la Haute juridiction, dans un arrêt publié, la créance de remboursement des sommes payées aux clients et fournisseurs d’une agence de voyages au titre de la garantie financière, par une association dont l’activité consiste à fournir cette garantie, étant en rapport direct avec l’activité professionnelle qu’elle exerce, même sans but lucratif, celle-ci est un créancier professionnel.

Cette décision s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait déjà jugé que l’APST est un créancier professionnel au sens des articles L341-2 et L341-3 du code de la consommation (Com., 27 septembre 2017, pourvoi n° 15-24.895, B).

Droit Commercial

Société – distribution de dividendes hors assemblée générale approuvant les comptes d’un exercice – nullité d’une décision d’assemblée générale.

Com, 12 février 2025, n°23-11.410, publié au bulletin

Dans un arrêt publié au Bulletin, la Cour de cassation étend pour la première fois à des délibérations prises par les associés d’une société, une jurisprudence dont elle faisait jusqu’à présent application en matière de droit des contrats et en droit de la copropriété.

Elle juge ainsi, au visa des 1103 du code civil et L. 235-1 du code de commerce, que les délibérations d’une société commerciale s’imposent aux associés tant que la nullité n’en a pas été prononcée.

Elle censure, par conséquent, les juges du fond qui avaient rejeté la demande en paiement de dividendes en soulignant que les actionnaires n’auraient pas dû procéder à une telle distribution.

Elle juge ainsi que la délibération de l’assemblée générale de la société litigieuse, bien qu’encourant la nullité, s’imposait tant que la nullité n’en avait pas été prononcée.

La Cour de cassation se prononce, en outre, dans un obiter dictum, sur le sort de dividendes qui seraient prélevés sur le report à nouveau de l’exercice précédent et dont la distribution serait décidée en dehors de l’assemblée générale amenée à se prononcer sur l’affectation dudit résultat.

Elle juge ainsi qu’il résulte de la combinaison des articles L 232-11 et L 232-12 du code de commerce, lesquels sont impératifs, que le report bénéficiaire d’un exercice est inclus dans le bénéfice distribuable de l’exercice suivant et que, par voie de conséquence, seule l’assemblée approuvant les comptes de cet exercice pourra décider son affectation et, le cas échéant, sa distribution. Il s’ensuit qu’encourt la nullité la délibération d’une assemblée générale autre que celle approuvant les comptes de l’exercice et décidant la distribution d’un dividende prélevé sur le report à nouveau bénéficiaire d’un exercice précédent.

Elle ne fait néanmoins pas d’application en l’espèce du principe posé dans la mesure où la nullité de la délibération litigieuse n’avait pas été sollicitée par les nouveaux actionnaires de la société.

Elle prend ainsi position, pour la première fois, sur un débat doctrinal de longue date sur le droit pour des associés de décider de l’attribution d’un dividende prélevé sur le report bénéficiaire d’un exercice précédent lors d’une assemblée générale autre que celle décidant de l’affectation dudit résultat.

Procédure Civile

Procédure civile – référé – renvoi au fond – inapplicabilité en cause d’appel

2ème Civ., 27 mars 2025, n° 22-23.483, publié au bulletin

L’article 837 du code de procédure civile dispose qu’à la demande de l’une des parties et si l’urgence le justifie, le président du tribunal judiciaire saisi en référé peut renvoyer l’affaire à une audience dont il fixe la date pour qu’il soit statué au fond.

Par le présent arrêt et comme le cabinet l’y invitait, la Cour de cassation reconnaît que ces dispositions ne sont en revanche pas applicables par la cour d’appel saisie d’une décision rendue en référé.


Considérant le moyen recevable comme étant de pur droit, elle censure donc l’arrêt qui a décidé ce renvoi au fond et, par voie de conséquence, l’arrêt qui a statué au fond.

Droit du Travail

Droit de grève – retenue sur salaire – date de cessation de la grève – jour férié ou chômé consécutif au jour de grève – exclusion – conséquence de la retenue – entrave

Soc., 5 février 2025, n° 23-21.250, publié au bulletin


Dans cette affaire, une salariée de la Poste défendue par le cabinet avait participé à des mouvements de grève se déroulant uniquement le samedi et, après le jour de repos dominical, avait repris son poste le lundi.

L’employeur a cependant pratiqué une retenue sur son salaire non seulement pour les samedis au cours desquels la grève a eu lieu mais également sur les dimanches suivant la grève, estimant que la salariée devait être considérée comme gréviste jusqu’à la reprise effective de son poste, le lundi.

A cet égard, l’employeur se fondait sur une lecture tronquée d’une jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, 7 juillet 1978, Omont, req. n° 03918) qui ne concerne que le cas de jours de repos inclus dans une période de grève et non les jours de repos consécutifs à la grève.

Par cet arrêt publié au bulletin, La chambre sociale de la Cour de cassation contredit cette position et, comme le cabinet l’y invitait, a estimé que l’absence du salarié résultant d’un temps de repos postérieur à la fin d’un mouvement de grève ne constitue pas une absence de service fait par suite de la cessation concertée du travail et doit être rémunérée.

Bien plus, la Cour de cassation décide que la retenue illicite constitue une entrave au droit de grève justifiant, outre la restitution des sommes indument retenues, l’octroi de dommages-intérêts tant pour la salariée que pour son syndicat.

Contrat de travail – harcèlement moral – Régime de la preuve du harcèlement moral en application du code du travail de Nouvelle-Calédonie

Soc., 9 avril 2025, n°23-17.359, publié au bulletin

La Chambre sociale, pour la première fois de sa jurisprudence, a expressément décidé que la preuve du harcèlement moral en Nouvelle-Calédonie était partagée, comme c’est le cas en Métropole.

La question qui n’avait jamais été tranchée se posait dès lors que les textes applicables en Nouvelle-Calédonie diffèrent de ceux issus du code du travail.

Aux termes de l’article Lp. 114-7 du même code, en cas de litige sur l’application des articles Lp. 114-1 à Lp. 114-6, le juge, à qui il appartient d’apprécier l’existence d’un harcèlement moral, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.


La Cour de cassation a ainsi jugé d’une part que le harcèlement moral est constitué dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour objet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel et que l’employeur doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés.

Et, d’autre part, que la charge de la preuve du harcèlement ne pèse pas sur le salarié et que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments fournis tant par l’employeur que par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et de former sa conviction au vu de tous ces éléments.

La Haute juridiction a pris soin de souligner que la cour d’appel avait constaté que le supérieur hiérarchique du salarié avait proféré, le 2 juin 2015, des menaces contre l’intégrité physique du salarié ayant conduit à un arrêt de travail de treize jours de ce dernier et que l’employeur n’avait pas délivré au salarié ses bulletins de paie pendant plusieurs mois.

Puisque la preuve partagée a été jugée applicable, la cour d’appel, qui avait par ailleurs constaté qu’étaient établies les menaces proférées contre le salarié par son supérieur hiérarchique en juin 2015 et la non délivrance des bulletins de salaire sur deux périodes, en 2015 et en 2016, lesdits bulletins n’ayant en définitive été remis au salarié que sur réclamations de ce dernier, ne pouvait, pour exclure le harcèlement moral, juger que le salarié n’avait pas prouvé les actes dont il était victime.

Droit Public

Association et fondation – Dissolution d’une association ou d’un groupement de fait en raison de provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence (6° de l’article L 212-1 du code de la sécurité intérieure)

CE, 20 février 2025, n°462981, mentionné aux tables du recueil Lebon


Le Conseil d’Etat, par cette décision notable, a rejeté le recours pour excès de pouvoir formé par le groupement de fait « Collectif Palestine Vaincra » contre le décret du ministre de l’intérieur décidant de sa dissolution.

Les décrets de dissolution et les décisions du Conseil d’Etat qui les confirment sont suffisamment rares, pour que l’on rappelle les motifs par lesquels la Haute juridiction s’est prononcée dans cette affaire.

Après avoir relevé que ce groupement de fait se donne pour objet, ainsi que l’énonce sa charte constitutive, le soutien à la lutte du peuple palestinien  » pour la libération de toute la Palestine de la mer au Jourdain  » et le combat contre l’Etat d’Israël,  » entité coloniale et raciste « , le Conseil d’Etat a constaté que ses prises de position, exprimées notamment par l’intermédiaire de ses publications sur les réseaux sociaux et lors de ses actions sur le terrain, se traduisent par un discours virulent prônant la disparition de l’Etat d’Israël.

Pour la Haute juridiction, l’antisionisme militant du groupement ne le conduit pas à tenir lui-même des propos à caractère antisémite, et ses prises de position n’excèdent pas, en tant que telles, les limites de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Néanmoins, les messages qu’il diffuse, radicaux et univoques, suscitent le dépôt, sur ses comptes ouverts sur les réseaux sociaux, de commentaires particulièrement agressifs et haineux ayant pour cible, sous couvert de viser les  » sionistes « , l’ensemble des citoyens israéliens de confession juive, et parfois à connotation explicitement antisémite.

Pour le Conseil d’Etat, de tels commentaires doivent être regardés comme des provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence au sens des dispositions du 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, imputables au groupement en application des dispositions de l’article L. 212-1-1 du même code dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il les aurait prévenus ou modérés à la hauteur des moyens dont il dispose.

Répondant enfin à un des moyens soulevés par le recours du collectif, le Conseil d’Etat a précisé en dernier lieu qu’eu égard à la nature, à la gravité et à la récurrence des agissements mentionnés, et compte tenu de leurs répercussions sur le territoire français, la mesure de dissolution critiquée ne présente pas un caractère disproportionné au regard des risques de troubles graves à l’ordre public qui en résultent.